C’est une décision emblématique : la suppression de la taxe d’habitation. Mais était-ce une bonne idée ? Alors que le quinquennat du chef de l’Etat s’achève, voici le premier article de notre nouvelle série sur le bilan des réformes d’Emmanuel Macron pour le porte-monnaie des ménages.
« La mesure la plus essentielle pour le pouvoir d’achat ». C’est ce qu’annonçait, en 2017, le candidat Emmanuel Macron en dévoilant sa promesse de supprimer la taxe d’habitation pour 80% des ménages. Cinq ans plus tard, cet engagement a-t-il été vraiment tenu et quels sont ses effets ?
C’est quoi cette réforme ?
La taxe d’habitation, payée par les propriétaires comme les locataires, était pointée du doigt depuis longtemps pour son modèle de calcul jugé inégalitaire, basé notamment sur des critères très anciens. La mise en marche de cette suppression a suscité, dès l’été 2017, des interrogations sur sa date d’entrée en vigueur mais également sur son périmètre : cette suppression devait-elle concerner toutes les résidences ou seulement l’habitation principale ?
Ce n’est pas tout. Le conseil constitutionnel avait aussi émis des réserves, au nom de l’égalité de tous devant l’impôt, sur une mesure censée bénéficier seulement à une partie des ménages. Résultat, la promesse de suppression a finalement été limitée à la résidence principale, mais aussi élargie à l’ensemble des particuliers. « Si cet impôt « n’est pas bon pour 80% des ménages, il y a peu de chances qu’il soit bon pour les 20% restants », lâchait Emmanuel Macron fin 2017.
Quelles économies pour les ménages ?
La taxe d’habitation a d’abord été supprimée pour 80% des ménages les plus modestes en trois étapes. Son montant a été diminué d’un tiers chaque année entre 2018 et 2020. D’après les calculs du fisc, la fin de la taxe d’habitation représente une économie moyenne de 600 euros par an pour ces 22,8 millions de ménages.
Nombre de parts fiscales du foyer |
RFR maximum pour une exonération totale |
RFR maximum pour une exonération partielle dégressive |
---|---|---|
1 part |
27 761 € |
28 789 € |
1,5 part |
35 986 € |
37 528 € |
2 parts |
44 211 € |
46 267 € |
2,5 parts |
50 380 € |
52 436 € |
3 parts |
56 549 € |
58 605 € |
Plus de 3 parts |
56 549 € + 6 169 € par demi-part supplémentaire |
58 605 € + 6 169 € par demi-part supplémentaire |
A compter de 2021, les 20% des contribuables les plus aisés, soit 7,2 millions de foyers, ont aussi commencé à bénéficier de cette réforme, avec une première ristourne de 30% pour un gain moyen de 363 euros. Cette exemption sera poussée à 65% en 2022 avant une exonération complète en 2023. Au total, le ministère des Finances estime que le gain total sur le quinquennat frise les 40 milliards d’euros pour 30 millions de ménages.
A noter aussi que la suppression de la taxe d’habitation a privé de facto les communes d’une de leurs principales sources de ressources. En conséquence, Emmanuel Macron s’était engagé à la compenser « à l’euro près, sur la base des recettes de 2017. Désormais, les communes gardent les recettes de la taxe d’habitation seulement sur les 3,5 millions de résidences secondaires et les logements vacants.
Résidence secondaire : ce que coûte la taxe d’habitation
Selon un rapport de la Direction générale des Finances publiques (DGFiP) publié en octobre 2021, le montant moyen de taxe d’habitation était en 2020 de 756 euros pour une maison secondaire et de 915 euros pour un appartement. « Les appartements secondaires se trouvent plus souvent dans des lieux fortement touristiques ou denses, où la taxe d’habitation est souvent plus élevée, alors que les maisons secondaires se trouvent dans des zones plus rurales, avec une taxe d’habitation plus faible », explique la DGFiP.
Le bilan est-il positif ou négatif ?
Pour le portemonnaie des Français, la fin programmée de la taxe d’habitation est à première vue une très bonne nouvelle. « Cet impôt reposait sur des bases fiscales discutables. Sa suppression a permis de résoudre le problème et il s’agit de la principale mesure de soutien en faveur du pouvoir d’achat durant ce quinquennat », constate Pierre Madec. Interrogé par MoneyVox, cet économiste à l’OFCE apporte un bémol : « Cet impôt, tout en étant mal calibré, faisait que les plus aisés payaient le plus. Sa suppression pour tous entraîne donc un effet redistributif négatif ». Elle « a plutôt favorisé les classes moyennes, pour lesquelles son montant était le plus élevé en pourcentage du revenu », complète François Ecalle, président de Fipeco, un site d’informations sur les finances publiques.
Cet ancien magistrat de la Cour des comptes voyait dans la taxe d’habitation au moins un avantage. Elle « était payée par presque tous les habitants de chaque commune et permettait de les sensibiliser au coût des services publics locaux, ce qui pouvait limiter les demandes d’extension et d’amélioration de ces services et donc l’augmentation des dépenses publiques ».
Privés du levier de la taxe d’habitation, certains maires pourraient être tentés de se rattraper sur la taxe foncière. Selon les derniers chiffres de l’Union nationale des propriétaires immobiliers, la taxe foncière a augmenté de 28% entre 2010 et 2020. « Et on pense que la hausse va se poursuivre, avec la suppression de la taxe d’habitation », explique son président Christophe Demerson, qui estime que les élus locaux « anticipent déjà où ils vont chercher des recettes ». Si la taxe foncière augmente, par effet boule de neige, « on peut imaginer qu’il y ait des effets inflationnistes sur les loyers », complète Pierre Madec.
Par ailleurs, François Ecalle constate que le mécanisme de compensation mis en place pour les collectivités par l’Etat passe par des « circuits compliqués ». Les communes reçoivent désormais la part départementale de la taxe foncière sur les propriétés bâties et une fraction de la TVA est affectée par l’Etat aux intercommunalités et aux départements. Mais au final, ce sont bien les caisses de l’Etat qui prennent en charge cette suppression de la taxe d’habitation, à hauteur de 18 milliards d’euros par an. «
Cela contribue à accroître les déficits et la dette dont il faudra reprendre le contrôle », pointe François Ecalle. Pour autant, difficile d’imaginer un rétablissement de la taxe d’habitation. La mesure ne figure au programme d’aucun des candidats actuellement déclarés à la présidentielle de 2022.